Chroniques Tome I
P 97 -98
Chroniques Tome I
P 97 -98
MORALE POLITIQUE
UNE des caractéristiques de la politique est dans ses fluctuations et ses chassés-. croisés. Il s'agit moins d'élaborer des systèmes économiques pu sociaux et Dieu sait si le monde en a produit depuis la seconde moitié du XVIIIème siècle! - que de les adapter aux nécessités du moment. C'est ainsi que toute action politique comporte, à côté de la doctrine, si rigide qu'elle soit, un autre 'plan qu'on appellela tactique. La tactique est l'art de ne pas appliquer la doctrine ou de la contourner habilement avec la noble pensée de la mieux faire triompher lorsque d'autres circonstances seront données. Elle permet à peu près tout : les contradictions et les volte-face. Sa morale - ou plutôt son pragmatisme - se définit ainsi : les moyens sont indépendants de la fin, ou encore : tous les chemins mènent à Rome (à Moscou aussi, ou ailleurs). La sagesse populaire ne manque pas d'adages pour illustrer cette pensée. La conclusion, d'une pareille constatation pourrait être que l’hypocrisie de la plupart des politiciens consiste à dépenser des trésors de dialectique ou de protestations pour démontrer qu'ils n'ont pas changé. Mais tout change. Lorsque M. Molotov embrassait Ribbentrop, en 1939, c'était pour mieux l'étouffer et Ribbentrop, naturellement, en faisait autant. Deux ans après c'était l'agression nazie et la terrible guerre, préparée de part et d'autre évidemment. Dans un domaine moins tragique et moins vaste, chaque parti nuance sa propagande selon ses chances ; il subordonne tout, y compris parfois les intérêts de la nation (et même la paix du monde) à ses propres objectifs, à ses propres succès et, par désir d'imposer au peuple la forme de bonheur qu'il a conçue, il n'hésite pas toujours - ou bien, s'il hésite, c'est souvent trop tard - devant le déchaînement des catastrophes.
(20 février 1948)