Chroniques Tome III

P 49 - 50

 

NOTRE AVENIR

Des auteurs aussi différents que MM. AlfredSauvy et Thierry Maulnier nous annoncent un changement décisif de la politique française vers 1965 ou 1970, lorsque la pression explosive d'une jeunesse plus nombreuse aura fait sauter le couvercle de la marmite. Dans notre impatience et notre inquiétude, nous ne pouvons tout de même pas souhaiter d'être plus vieux de dix ans pour savoir quand la France sortira de sa crise ! Il n'y a ni prophète ni pythonisse pour nous dire sur quelle voie une dynamique jeunesse accomplira demain son sort. Si sa manière sera brutale ou raisonnable et quelle forme elle donnera à notre régime. C'est pourtant ce que se demandent les spécialistes et aussi les simples citoyens, encore que leurs occupations et leurs soucis quotidiens les détournent d'y trop penser. Ces réflexions me traversaient l'esprit au cours d'un récent forum” où l'on avait à parler des grandes réformes et notamment de celles des institutions. Après un débat consacré à l'Algérie, il était logique d'en venir là, du moins à nos yeux puisque aucun des problèmes qui se posent aux Français de 1958 ne nous semble pouvoir être sérieusement résolu sans qu'on ait d'abord retrouvé l'instrument de toute solution : un Etat capable de se gouverner. Il était inévitable que le problème de l'opinion fût posé. Si la démocratie consiste à exercer la volonté du peuple à travers les institutions, deux questions surgissent aussitôt : les gouvernements agissent-ils selon le voeu des électeurs, sont-ils fidèles au contrat électoral ou bien, au contraire, le trahissent-ils ? Seconde question, qui pourrait du reste être posée en préalable : existe-t-il une volonté des électeurs et peut-elle clairement s'exprimer? Là, intervient immédiatement le problème électoral. Quel est le meilleur mode de scrutin pour dégager une action décisive et loyale ? S'il est vrai que les institutions françaises, d'inspiration romantique, ne correspondent pas aux besoins du XXe siècle, lequel est du reste à 60 % révolu, il est vrai aussi que l'opinion n'existe pour ainsi dire pas, Divisée en vingt partis, elle transpose cette mosaïque au sein du Parlement, qui la transpose lui-même au sein du gouvernement. De sorte que les ministres sont impuissants à décider parce qu'ils sont incapables de choisir. Une nouvelle loi électorale, infiniment souhaitable, suffirait-elle à regrouper les Français sur un programme audacieux? Nous en doutons. Quel que soit le scrutin, il est évident que les moeurs électorales, l'état d'esprit des comités, les mauvaises habitudes de pensée, le goût des faux problèmes feront encore peser sur la compétition les mêmes stérilités et les mêmes mensonges. Nous voyons bien que les résultats ne sont pas beaucoup plus clairs aux élections partielles, qui se déroulent cependant sur des bases différentes. Non. C'est le style de la démocratie française qu'il faut changer, et cela nous paraît dépendre de la structure même des institutions.

(29 mars 1958)