Extrait de “la sagesse du pessimisme”
P 13
Extrait de “la sagesse du pessimisme”
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VIE PRIVEE
La littérature m'aura servi de religion. Elle s'est emparée de moi dans l'adolescence, loin de toute réflexion sur l'acte d'écrire, qui fait aujourd'hui l'objet de tant de gloses compliquées, à cause des arcanes du langage, où le langage se conteste lui-même. Mieux vaut donc ne les point trop connaître, ou les aborder autrement, dans les émerveillements de l'instinct. Il y a une grande inconscience dans l'usage des mots, par rapport à la pensée, à la conscience et à la vie. Dans la jeunesse, ils sont comme un breuvage d'ivresse, une fantasmagorie dont on joue, dans les brouillards de leurs significations et de leurs interférences, mais dans le sentiment de leur pouvoir qui est de l'ordre de l'amour et du charme. Plus tard, ils se chargent de tant d'expérience et de réalité humaines, mais aussi d'ambiguïté, de machiavélisme, qu'on ne peut plus les utiliser sans hésitation ni scrupule. Les lieux communs eux-mêmes prennent un sens qui effraie. Ainsi une vocation littéraire est-elle faite de naïveté. Une naïveté qui atteint maintenant les profondeurs. L'homme croyait que son langage lui appartenait. On le détrompe : C'est lui qui appartient à son langage ; sa liberté de pensée est prisonnière d'un mécanisme...
(Décembre1976)