Ceux qui ont éclairé nos chemins

p 214

 

Extrait de “CHOPIN”

Si l’on obligeait tout artiste, celui qui puise aux sources de l'art les nourritures de son esprit et de son âme, d'élire un seul génie, ou une seule œuvre, dans le trésor des siècles et du monde, il reculerait épouvanté. On joua jadis à ce jeu. Vous vous souvenez : les dix ouvrages que vous emporteriez dans l' île déserte... Allons, répondez, en dépit de tant d'hésitations et de reprises ! Vous hésitez.

Et maintenant, par surcroît, voici les musiciens. Quelles œuvres longuement choisies placeriez-vous dans votre valise de Robinson volontaire et mélomane ? Vous refusez encore le dilemme. Vous avez cent fois raison. Mais si toutes musiques devaient pourtant sombrer, dans une pénurie de catastrophe, peut-être seraient-ils nombreux ceux qui, ayant pesé tous les risques (tous les disques !) interrogé toutes leurs dilections, répondraient sans regret : Chopin.

Il n'est pas plus grand que tant d‘autres. On a fait son procès. On l'a même trouvé petit. N'est il pas réduit à une seule expression : le piano, à deux ou trois sentiments infiniment répétés, toujours les mêmes : mélancolie, nostalgie, désespoir ? N'est-il pas toujours semblable à lui -même, dans la monotonie des formules et des moyens : ces tierces, ces renversements en sixtes, ces progressions harmoniques, ces cadences, ces arpèges... Sa mélodie ne tourne-t-elle pas à la romance ?