8 Mai

1959

 

Allocution de Roger Secrétain :

Monsieur le Président de la République, le 18 septembre 1944 - il y a bientôt quinze ans vous franchissiez les portes de cet hôtel de ville. Comme dans les autres cités, les phalanges du combat clandestin vous entouraient. Une population vous acclamait, dans l'ivresse de sa libération. Mais il y avait ici une émotion exceptionnelle, un état d'âme que nous retrouvons aujourd'hui, et qui remonte à travers l'histoire. Car le peuple d'Orléans avait déjà connu pareil enthousiasme. Cinq cents ans plus tôt, il avait rempli de son joyeux délire le mot “délivrance”. Or, nous sommes au pays de la fidélité. Nous nous souvenons après cinq siècles. Comment ne nous souviendrions-nous pas après quinze ans? Par une de ces coïncidences que le destin sait inscrire dans les dates, le même jour appelle pour nous deux commémorations: 8 mai 1429, 8 mai 1945. N'est-ce pas la même chose? L'identité des situations n'est-elle pas frappante? Les temps atroces étaient revenus, puis l'espérance s'était rallumée, et la liberté avait été rendue. Aussi bien, la gratitude que j'ai tant de plaisir et de fierté à vous exprimer, Monsieur le Président de la République, au nom du Conseil municipal et de tous nos concitoyens, pour le grand honneur que vous nous faites, rejoint-elle une reconnaissance plus ancienne et plus profonde, qui est celle des Français et des Républicains, ce qui, là encore, est une même chose. Peut-être, pour cette raison historique, en nous toujours vivante, avions-nous moins de peine que les autres à ne pas nous résigner. La voix de Jeanne d'Arc était la voix même de la Résistance. Ranimée par le génie prophétique d'un homme de chez nous, Jeanne d'Arc avait dit: “Il ne faut pas céder. Tant qu'il y a de reste un paysan pour donner un bon coup de faux, il ne faut pas céder.” Sans doute pensiez-vous aussi à cela, mon Général, le 18 juin 1940 ? Le privilège d'Orléans est d'avoir été l'occasion et le lieu d'une merveilleuse aventure. Nous nous sentons chargés d'un très grand passé. Si j'étais l'un des éminents historiens que notre ville a vu naître, je me plairais à évoquer devant vous un admirable panorama intellectuel, le paysage de sciences, d'art, de spiritualité qui s'est développé sur les rivages de ce fleuve. Vous êtes aujourd'hui dans la seule ville de France qui ait failli détrôner Paris. Nous avons autour de nous les souvenirs accumulés d'une ancienne capitale capétienne et d'une ancienne Université oecuménique d'Europe, où de futurs papes ne dédaignaient pas de venir étudier le droit canon. Vous n'avanceriez pas dans les rues qui serpentent vers la Loire sans rencontrer des ombres: l'évêque Saint-Aignan, encore tout ému des violences d'Attila ; Robert le Pieux, qui aimait à chanter aux lutrins d'Orléans; Robert de Courtenay, qui devint empereur de Constantinople ; Jeanne d'Arc, tout naturellement, sur toutes les places et dans tous les coeurs. Et combien d'autres fantômes! Erasme, Calvin, Théodore de Bèze, tous les humanistes de la Renaissance; Charles-Quint, qui fit de notre ville un compliment inoubliable; François II, qui vint mourir ici, dans une chambre voisine, entre Catherine de Médicis et Marie Stuart; le jurisconsulte Pothier, dont la stalle doctorale et pacifique fut enlevée par l'occupant, sur la place toute proche où il témoignait du sévère génie de notre race; Péguy, enfin, l'enfant du faubourg Bourgogne, le petit cousin de Jeanne d'Arc, qui disait: « Je suis un homme du XVe siècle», et qui disait encore: “J'arrive à oublier qu'elle a été brûlée”. La contemplation de ce patrimoine ne saurait nous distraire de nos devoirs d'hommes vivants. Grâce au dévouement de mes prédécesseurs, la ville a désormais presque entièrement réparé ses ruines. Elle va maintenant entreprendre une oeuvre d'équipement et d'expansion. Elle est au carrefour de son destin, parce qu'elle est au carrefour des influences parisiennes et parce que la capitale pourra se décharger sur nous d'une abondance de biens qui finit par l'étouffer. Nous évoquions il y a un instant l'antique Université d'Orléans, que les premiers effets des concentrations parisiennes ont abolie, à la fin de la Monarchie. Le moment n'est-il pas venu de la ressusciter, dans les formes modernes qui la justifieront? Nous vous demandons comme une grâce de nous le permettre, Monsieur le Président de la République, non point pour la satisfaction d'une doléance Parmi les milliers de doléances qui montent vers vous, mais parce que nous pensons que ce serait faire oeuvre saine, et parce qu'il nous semble que c'est aussi Jeanne d'Arc qui vous le demande, Jeanne d'Arc, en qui nous ne voyons pas seulement l'image de la sainteté, de l'héroïsme et du génie, mais de la jeunesse. “Je suis venue pour donner secours au royaume de France, et à Vous”, disait la Pucelle à Charles VII. Elle ajoutait:  Employez-moi”. Nous vous disons à notre tour, avec une grande simplicité: “Employez-nous”. Employez-nous à la place modeste qui est la nôtre, et qui est aussi une place forte, car toute place est forte pour celui qui, là où il est mis, remplit pleinement son office. Il y a un an à peine, vous nous avez apporté la stabilité politique, qui manquait si douloureusement à notre démocratie. De cela aussi nous vous sommes profondément reconnaissants. Nous sommes des démocrates aussi exigeants, aussi susceptibles que d'autres, mais nous savons que la Confusion est une tyrannie et qu'il n'y a pas de république sans gouvernement. Permettez-moi de vous exprimer mes voeux respectueux de bienvenue dans la ville de Jeanne d'Arc, et de vous remercier encore, Monsieur le Président de la République, pour le réconfort de votre présence. Vous allez donner une immense joie aux Orléanais. Les qualités naturelles de cette terre, sous une des lumières les plus douces du monde, nous inclinent à la pondération. La nouveauté ne nous fait pas peur mais, comme vous l'avez dit vous-même autrefois, nous aimons qu'elle soit raisonnable. Au moins puis-je vous dire que cette discrétion n'est pas une indigence. Elle cache beaucoup d'attachement, beaucoup de ferveur. Elle n'interdit pas, vous le verrez, j'en suis sûr, tout à l'heure, une noble exaltation! Je voudrais saluer les membres du gouvernement et les éminentes personnalités qui vous accompagnent, leur dire notre déférente gratitude, les assurer comme vous-même de notre patriotisme et de notre civisme républicain. Je remercie mon ami Maurice Genevoix, secrétaire général de l'Académie Française, qui est, du reste, ici chez lui, et qui honore si grandement notre ville, d'avoir bien voulu représenter l'illustre Compagnie. Je salue MM. les Maires des villes johanniques, dont la venue parmi nous prend une signification évidente. Je voudrais que leurs Excellences MM. les Ambassadeurs des grandes nations amies et voisines sachent combien le maire d'Orléans est heureux de les accueillir aux côtés du Chef de l'État, et combien leur participation personnelle ajoute d'éclat à nos cérémonies. Nous les prions de voir dans notre accueil le symbole d'une fraternité que rien ne peut désormais ralentir et que favorise d'ailleurs le culte de Jeanne d'Arc, dont le pur visage suscite en tous lieux l'admiration des hommes.