8 Mai

1961

 

Allocutions de Roger Secrétain :

Monsieur le Ministre, Il y a deux ans, à cette date, la ville d'Orléans recevait le général de Gaulle. Ce fut un honneur et une fierté dont cet espace de temps écoulé n'a pas diminué le prix. Les encouragements que nous en avons tirés portent toujours leurs fruits. Cette présence, en un tel jour, dépassait de loin nos personnes et la cité elle-même. Elle redonnait un sens à l'histoire. L'an dernier, MM. Debré et Joxe étaient ici à leur tour. Nous avons apprécié, avec reconnaissance, leur sollicitude à notre égard. Aujourd'hui, c'est vous-même, puisque vous nous avez fait la joie d'accepter notre invitation. Je vous en remercie de grand coeur. Nous saluons en vous le représentant du gouvernement de la République. Mais aussi - et ce n'est pas un propos de circonstance - l'interprète des sentiments profonds de la nation, des idées-force sur lesquelles nous vivons. Vous êtes l'un des quelques écrivains vivants dont on sait que leur oeuvre restera. Nous reconnaissons en vous le génie créateur, l'expérience héroïque dont vous l'avez nourri, le regard lucide dont vous éclairez, dans une sorte de prophétisme, la dramaturgie, de l'histoire- Il est peu d'hommes qui, voués à la liberté intérieure, aient été aussi engagés que vous dans l'événement historique. Vous avez mené l'intelligence au milieu des tempêtes de l'action. Vous avez risqué votre vie, mais vous n'avez pas abandonné votre clairvoyance. Vos exils, vos aventures, vous ont mis au contact des morales ancestrales, des grands mythes. Vous en avez rapporté une presque inquiétante sagesse, la conscience aiguë de «la Condition Humaine», une conscience tragique, qui pousse vos personnages au sacrifice, pour le triomphe d'un idéal social mais aussi pour l'affirmation de leur destin et dans une chevalerie du désespoir. Vous avez combattu, au sens concret du mot, sur les champs de bataille de l'immense guerre moderne, qui se confond avec le combat de toutes les libérations. Nul ne s'étonna que vous fussiez devenu, dans la guerre d'Espagne, un combattant véritable, sous la forme la plus audacieuse du tournoi. Pas davantage que vous fussiez devenu, au maquis, l'un des chefs de la Résistance et que, dès lors, pris dans l'engrenage des responsabilités publiques, vous dussiez vous laisser entraîner jusque sur les bancs du gouvernement. Ni bien sûr que vous y fussiez revenu, il y a bientôt trois ans, sous le signe d'une émouvante fidélité, et sans doute parce qu'un courage d'une autre sorte vous sollicitait : le relèvement d'une nation qui se délitait. Vous allez accomplir un geste symbolique : celui de poser la première pierre de cette maison où vint Jeanne d'Arc, il y a cinq cent trente deux ans, que les bombes ont écrasée et que nous voulons rendre à la vue, à la piété de la population et de la postérité. Un pastiche? C'est vrai. Cet inconvénient ne nous obsède guère : il s'agit de tout autre chose : d'une permanence et d'une ferveur. Ce témoignage du respect que nous avons du passé s’harmonise avec notre souci de préparer l'avenir. Cette ville est fidèle, mais elle est vivante. Elle veut conquérir son équipement, son expansion, tout ce que la jeunesse qui monte attend de nous. Elle veut que les conditions matérielles de la vie collective soient plus généreuses et plus efficaces, mais elle veut aussi que les conditions de la culture des esprits ne soient pas négligées. Ici, un musée consacré à Jeanne d'Arc renaîtra de ces ruines. Il prendra place dans la série des conservations que la guerre avait cruellement atteintes et que nous nous employons à reconstituer. Beaux-Arts, Histoire, Sciences Naturelles. Tout cela, Monsieur le Ministre, fait l'objet de nos efforts. En quelles mains plus cordiales, plus énergiques que les vôtres pourrions-nous remettre ces dossiers, auxquels nous attachons tant d'importance? La ville d'Orléans, qui vient de célébrer, en présence de M. Maurice Genevoix et des recteurs de trente facultés européennes, les mérites de son antique Université de Droit, nourrit d'autres ambitions légitimes. Elle souhaite de ressusciter, sous un aspect moderne, cette fondation séculaire, non seulement pour donner aux étudiants de la région le moyen de conquérir sur place leurs grades, mais parce que la capitale étouffe et qu'il est temps, dans une juste réparation, que Paris nous rende maintenant un peu de ce qu'il nous a pris jadis, et se décharge sur nous de sa dangereuse surabondance. Nous nous permettons d'attirer sur ces grands projets votre très bienveillante attention, à vous qui êtes chargé des affaires culturelles de la nation. Nul mieux que vous ne peut mener cette noble tâche jusqu'à ses accomplissements. A la croisade de la foi et du patriotisme, que Jeanne d'Arc entreprit victorieusement, s'ajoute aujourd'hui celle de la culture pour la domination des instincts et des préjugés, et pour la réconciliation des peuples.