8 Mai

1962

 

Jacques CHABAN-DELMAS(8 mai 1962)

Allocutions de Roger Secrétain :

Monsieur le Président,La bienveillance du pouvoir suprême n'a jamais manqué à la ville d'Orléans. Non certes qu'elle ait l'ambition d'occuper une autre place que la sienne dans la hiérarchie des cités. Et comment ne prendrais-je pas cette précaution d'humilité devant vous ? Notre place est donc honorable, mais modeste. C'est pour une autre raison qu'on nous estime - et pourquoi ne pas le dire ? - qu'on nous aime, que parfois on nous envie. Cette raison, c'est Jeanne d'Arc. Je ne crains pas d'affirmer qu'il faut venir à Orléans en ce jour pour savoir qui fut Jeanne d'Arc, quelle fut cette aventure, quelles racines elle a poussées, à travers les siècles, dans le sol populaire. Ici, l'héroïne des livres d'images descend dans la rue. Elle se mêle à la foule comme en ce lointain soir d'avril, gonflée d'espérance, comme en ce 8 mai de triomphal accomplissement où elle inaugura le cortège que nous allons former autour de vous, dans une allégresse incessamment ressurgie. Aussi bien, depuis son installation, qui a coïncidé avec celle de la Ve République, la municipalité que voici, dont les membres sont réunis à votre intention,a-t-elle reçu de grandes visites.Aujourd'hui, c'est vous, Monsieur le Président.A l'honneur que vous nous faites, s'ajoute le plaisir- 297-que nous avons à vous recevoir, en présence des autoritésciviles, universitaires, militaires, religieuses de la ville et dudépartement, des hôtes de qualité venus de divers pointsdu pays et des représentants éminents des nations amies,dont la présence nous touche très profondément.Pour vous saluer, je suis dans l'embarras. Vous avezbeaucoup de titres à notre hommage. Celui de présider,avec l'autorité, je devrais dire la sportivité que l'on sait,mais j'ajoute aussitôt: la compétence, l'une des tribunesles plus difficiles du monde. Les députés et sénateurs denotre département, associés étroitement à nous, se félicitent, j'en suis sûr, de voir aujourd'hui le Parlement, en un lieu où bat le coeur de la France, prendre une sorte de revanche sur l'Exécutif! C'est donc l'Assemblée Nationale tout entière, cette Assemblée dont les Français ne disent tant de mal que parce qu'ils ne supporteraient pas d'en être privés, que nous saluons en vous. Nous n'oublions pas pour autant le ministre que vous avez été à des postes importants, en des circonstances où j'ai eu moi-même l'occasion de subir le charme de votre talent. Rappelant les souvenirs inoubliables et toujours émouvants de la Résistance, dont les militants ne semblent pas, de la vie clandestine à la vie publique, avoir démérité ,de leur engagement, je pourrais vous appeler «Mon Général», soulignant du même coup une autre gloire, conquise sous le signe de la précocité. Mais ce titre risquerait de prendre une ambiguïté que ni vous-même ni le maire d'Orléans ne sont évidemment impatients de susciter! Enfin, je pourrais vous nommer « Mon Cher Collègue», et vous sentez bien que cette apostrophe n'aurait pas à nos yeuxun moindre prix. Ce que vous avez fait à Bordeaux, ce que vous êtes en train de faire de Bordeaux, toute la France le sait, et les maires de province trouvent volontiers dans votre oeuvre un exemple et une émulation.Aurai-je donc un complexe en face de cette capitale régionale, dont nul ne conteste le rayonnement, en face de ce grand port dont on a dit que c'était une manière de Corne d'Or, et dont les pavillons ont flotté sur toutes les mers du globe? Non, car nous ne saurions vous disputer cet apanage, cette suzeraineté. Et si fiers que nous soyons de notre patrimoine, si intimement que soit liée l'histoire de cette ville à l'histoire de France, si royal qu'ait été cet hôtel de ville républicain, où des rois sont venus, où l'un d'eux même est mort pour qu'un autre roi vive, nous n'ignorons pas pour autant vos richesses. Si je vous parlais de notre cathédrale, qui porte un nom familier à vos oreilles, celui de Sainte-Croix, vous me diriez que l'homonymie ne vous est pas défavorable; que la tour PeyBerland n'a point de jalousie pour notre beffroi; que notre rue Royale ne fait pas de peine à votre place de la Bourse et que nos hôtels du XVIe siècle, que j'espère vous viendrez voir en un jour moins officiel, ne sauraient éclipser les vôtres, témoignages d'un fastueux dix huitième.Et si je parlais de votre Grand Théâtre, je ne saurais alors où cacher ma confusion. Il n'est même pas de compétition intellectuelle que nous voudrions tenter, Monsieur le Maire de Bordeaux. Vous lancerais-je au visage le nom de Péguy que vous me renverriez celui de Montaigne, et si je vous parlais de Pothier, toute la littérature et toute la science juridique me répondraient Montesquieu. Aussi bien ne vous provoquerai-je pas. Il n'est de match où les Orléanais n'auraient chance d'être battus, à l'exception peut-être d'une compétition entre la verve gasconne et l'humeur guépine ...* * * * *Au moins puis-je vous dire à vous que le métier demaire, qu'on le fasse à Bordeaux ou à Orléans, comporteassez de satisfactions pour en compenser les soucis etjustifier une sorte de vocation. La gestion directe d'unecollectivité vivante, l'administration positive des chosesont à nos yeux quelque chose de sain. C'est la revanchedu concret sur la rhétorique. Cette primauté donnée àl'efficacité sur le romantisme est d'ailleurs une caractéristique de l'époque. Certaines considérations idéologiques,philosophiques, confessionnelles, dont l'intérêt intellectuelet sentimental reste grand, ont de toute évidence perdu deleur vivacité et de leur importance. Les jeunes générationssont plus soucieuses de réalisations sociales qued'étiquettes. Elles attachent plus de prix aux promesses del'urbanisme qu'à celles des propagandes. Les transformationsmatérielles d'une cité provoquent une certaineeuphorie dans l'ordre de l'intelligence et s'ouvrent aussibien à la spiritualité. Un nouveau destin en effet s'élaboredans les complexités et les contradictions du tempsprésent. Au-delà des vicissitudes édilitaires, une voie setrace dans la dramatique incertitude de l'avenir, mais dansla vertu quotidienne des accomplissements. Et puisquenous tentons ici comme ailleurs l'aventure de l'expansionsous toutes ses formes, mais surtout sous la forme universitaire,qui est sans doute la plus exaltante et la plusféconde, en ressuscitant une des plus vieilles Universitésd'Europe, vous comprendrez, j'en suis certain, la force denotre espérance et celle de nos résolutions.Merci encore, Monsieur le Président. Nous savons àquelles tâches vous vous êtes arraché pour venir passer cesheures parmi nous. Notre voeu le plus cher est que vous en gardiez un bon souvenir.