8 Mai

1963

 

Georges POMPIDOU (8 mai 1963)

Allocutions de Roger Secrétain :

Monsieur le Premier Ministre,Je voudrais d'abord vous dire notre gratitude. Nous vous avons pour un jour arraché à votre charge, la plus lourde de toutes, après la charge suprême du Chef de l'État. Votre bienveillance à notre égard l'a permis. Mais nous savons que la bienveillance ne suffit pas. Il faut aussi du courage pour rompre avec l'exigence quotidienne du pouvoir, pour déposer, fût-ce pendant quelques heures, le fardeau de tant de problèmes, qui ne se laissent résoudre pour que renaître. Car l'homme, à quelque place qu'il soit, surtout à la plus haute, est l'esclave de son action et de son œuvre. Nous souhaitons que votre impression, lorsque s'achèvera cette journée, soit à la mesure du grand honneur que vous nous faites, et du plaisir que nous éprouvons à vous recevoir. A travers les temps,d'illustres personnages vous ont précédé en ces lieux,dans cet hôtel oÙ des rois fréquentèrent. Je ne saurais énoncer devant vous le catalogue de nos souvenirs. Pour l'essentiel, l'histoire d'Orléans se confond avec celle de la France. Le professeur éminent que vous êtes le sait,mieux que nous, et pour peu que votre talent d'écrivain s'en inspirât, vous susciteriez les ombres dont les rues,- 301 -les monuments et la mémoire de cette ville sont remplies. Aujourd'hui, tous nos prestiges se résument en un seul: Jeanne d'Arc. Ne concentre-t-elle pas en elle-même tout un destin français?C'est ici que cette belle histoire vraie, auréolée de l'éclat de légende, s'est accomplie et justifiée. La vierge de Lorraine est devenue pour toujours la Pucelle d'Orléans. Nous ne pouvons l'oublier, Monsieur le Premier Ministre. Nous ressentons la nécessité d'associer à cet hommage et à cette fidélité les plus hautes autorités nationales. Vous êtes parmi nous aujourd'hui. Ce n'est pas moi, pas même les Orléanais: c'est Jeanne d'Arc qui vous remercie. De ce grand passé, nous tentons de nous montrer dignes. Voici que ressuscite, sous une forme moderne,notre vieille Université oecuménique, où de futurs papes vinrent étudier le droit canon. A côté de l'ancien fief capétien, qui faillit détrôner Paris, voici qu'une ville satellite va surgir, offrant aux surabondances de la capitale, un heureux, un naturel exutoire. Au Domaine de La Source du Loiret, que vous allez survoler tout à l'heure, 40.000 habitants vivront un jour dans le confort et la verdure, auprès de 10.000 étudiants orléanais,parisiens, européens, africains. Ces projets, qui s'ajoutent à l'aménagement d'une agglomération en pleine croissance, soulèvent en nous de grands enthousiasmes. Ils nous causent aussi de grands soucis. Ils nous contraignent à mener un pénible combat contre les résistances de l'Etat centralisé français. Ah certes, nous savons que tout ne peut être fait à la fois. Nous savons qu'une grande tâche de redressement politique, moral, économique, a été remplie. Que le drame algérien a été assumé, dépassé. Que la France a repris sa place au rang des nations respectées. Que la dépolitisation des problèmes sociaux est la condition d'un progrès réel. Tout cela, qui était l'essentiel, nous l'apprécions au-delà- 302-de ce qui subsiste de sujets de critique. Mais nous pensons que cette oeuvre aurait été inutile si un grand effort de rajeunissement des structures n'était pas entrepris, si une tutelle bureaucratique périmée continuait de paralyser les fécondités du pays. C'est Jeanne d'Arc, encore, qui autorise et commande ces propos. Ce qui étonne le plus, quand on réfléchit à sa destinée, n'est-ce pas sa volonté d'aboutir? Volonté indomptable et révolutionnaire puisque toutes les bastilles sont par elle emportées: celles de l'incrédulité, celles des préjugés, et bientôt celles de l'ennemi. Jamais tant de jeunesse n'avait bousculé tant de conservatisme. Cette Jeanne d'Arc, qui avait unifié le royaume et préfiguré ainsi la monarchie absolue, c'est une terrienne,une provinciale, une réaliste. Elle dirait aujourd'hui qu'unifier n'est pas étouffer. Elle dirait qu'il ne faut pas que la confiance se manifeste dans un seul sens. Qu'il est bien que cette confiance monte du pays vers le pouvoir, vers un homme exceptionnel qui anime l'appareil de l'État. Mais qu'il faut aussi que la confiance redescende vers les forces vives de la nation, que l'énergie laborieuse des Français, leur imagination créatrice, leur vertu d'accomplissement, ne soient pas déçues, restreintes, ou refusées, non certes par ceux qui comme vous, Monsieur le Premier Ministre, ont le désir passionné d'ouvrir la France aux générosités modernes, mais par on ne sait quoi d'abstrait, de formaliste, de parcimonieux, de soupçonneux, de faussement orthodoxe, d'étroitement juridique, à coup sûr d'anachronique, qui, de contrôle en contrôle, de report en report, dilue les responsabilités et compromet, sans bénéfice pour personne, pas même pour les finances de l'État, des chances qui ne se retrouveront pas. Excusez-moi d'abuser de cette bienveillance à laquelle je rendais grâce. Croyez bien que les Orléanais sont des citoyens disciplinés. Ce qui se passe aujourd'hui sous vos- 303-yeux montre qu'ils sont fidèles. Ce que je viens de vous dire montre qu'ils sont ambitieux, non seulement pour leur ville, mais pour la France. Mais c'est assez plaider . Je voudrais saluer les hautes personnalités qui vous entourent et qui s'associent,comme chaque année, à notre commémoration. Je vous prie, Monsieur le Premier Ministre, de vouloir bien accepter l'hommage du conseil municipal et de la ville d'Orléans tout entière et de bien vouloir assurer le Chef de l'État des sentiments républicains de la population.